TRANSCRIPTION DE LA CONFÉRENCE DONNÉE A L’ÉCOLE DES BEAUX-ARTS DE TOURS LORS DE L’EXPOSITION AU C.C.C. DE TOURS EN AVRIL 1992.

Cette description présente les différentes phases de ma pratique.

Dans un premier temps, celle-ci consiste à isoler un lieu dans le monde afin de créer un lieu artificiel qui n’est ni celui de l’artiste ni de l’objet d’art, ni d’un objet du monde. Ce lieu est en somme un lieu atopique, sans nom, qui ne se définit que par son isolement, un lieu sans objet.

Ce lieu permet à différents systèmes que j’ai mis au point de fonctionner dans cet isolement : le système T.I.(abréviation de “Tableau Initial”) et le système Infinièdre. Ces systèmes ont pour particularité de fabriquer des formes à l’infini. De par leur isolement ces systèmes qui fabriquent de la forme à l’infini rendent visible non plus la forme mais l’apparition de la forme. La fabrication de la forme se poursuivant à l’infini, ces systèmes mettent à nu l’apparition même. Ce qui se crée ainsi est un lieu idéal où le moment de l’apparition de la forme peut se voir dans toute sa nudité, sans lien avec une origine quelle qu’elle soit, métaphysique ou autre.

Cette mise à nu de l’apparition relie ce lieu à l’objet d’art.

La problématique de l’apparition dénudée nous renvoie à notre propre regard sur les œuvres d’art. Dans la contemplation d’une œuvre d’art, ce qui fascine est le fait proprement dit de l’apparition de la forme, de la forme quelle qu’elle soit. Il s’agit du simple fait d’apparaître, le simple fait que la forme apparaît.

Ce que je démontre dans ce renvoi à notre propre regard sur les œuvres d’art c’est que, si dans ce lieu isolé que je dégage, sans rapport avec l’art et ce qui le fonde, l’on donne à voir l’apparition de la forme, ce lieu devient automatiquement une œuvre d’art et relie dans le même temps toutes les œuvres d’art entre elles. Je m’explique : ce qui nous permet d’être artiste ou de regarder une œuvre d’art c’est l’existence de l’art. Mais ce qui permet l’existence de l’art c’est bien qu’il existe une œuvre d’art ou quelqu’un qui perçoit de l’art aujourd’hui dans une forme. c’est la répétition de la perception ou de la fabrication d’une œuvre d’art au fil du temps qui fonde l’art. Si aujourd’hui, il n’y avait plus d’œuvres d’art, les œuvre du passé perdraient du même coup leur statut d’œuvre d’art. Chaque œuvre donne son statut d’art non seulement à elle-même mais à toutes les autres; elles sont liées par la répétition. Elles ne doivent leur existence qu’à cette répétition se produisant à l’infini.

Or comment montrer dans sa solitude ce moment de l’apparition de la forme?

Pour ce faire, j’ai mis en place deux systèmes : le système du Tableau Initial ou T.I. et le système des Infinièdres. Ces deux systèmes ont la particularité de fonctionner en vase clos :

1) pour se produire, ils n’utilisent que leurs propres données

2) ils ont la possibilité de fonctionner à l’infini.

LE SYSTÈME T.I.

Dans ce lieu que j’ai isolé un système va être mis en fonction. le système T.I. pose comme base de fonctionnement ceci :

Soit le Tableau Initia ou T.I., le tableau avant l’apparition de l’image. Le T.I. est un objet qui n’a pas encore prouvé sa qualité de tableau. Les seules qualités permettant de le définir sont ses dimensions d’objet, sa longueur et sa largeur. Ces dimensions servent à définir à présent ce lieu isolé. Le tableau et ce lieu sont une seule et même chose. Ce lieu est le tableau et le tableau est ce lieu. Or, il doit faire apparaître une image afin de devenir visible et ainsi être reconnu comme tableau. C’est en faisant apparaître l’image qu’il devient tableau. Le tableau, ayant maintenant acquis les qualités de ce lieu (puisque lieu et tableau ne sont plus qu’une seule et même chose) est un objet isolé dans le monde. Pour se rendre visible, il n’a qu’une seule chose à faire : se représenter lui-même, c’est-à-dire représenter ce qui le définit. Ce qui le définit, comme nous l’avons montré, ce sont ses dimensions. Afin que la représentation puisse s’inscrire dans ce lieu limité à ses propres données, la représentation se fait par divisions des dimensions du tableau. Ce système divise les dimensions du tableau et l’on obtient une figure le représentant. Ce système peut se poursuivre à l’infini car la figure obtenu est replacé dans ce lieu et par là même, modifie ses propres données. A présent, on peut définir ce lieu par ses dimensions et les dimensions de la première figure. Le système de division se poursuit divisant maintenant ce lieu modifié par sa représentation et ainsi de suite à l’infini. Car se modifiant sans cesse, s’il veut se représenter il doit prendre en compte les modifications effectuées par sa représentation. Ce qui est représenté ici est non pas le tableau mais la répétition de la représentation. Par ce système, l’on s’aperçoit que chaque représentation modifie la chose représentée. Ce qui fait qu’une représentation n’est possible que si elle est faite à l’infini. Il faut une infinité de représentations pour arriver à la véritable représentation qui, en fait, et par conséquent, n’existe pas, n’existe que dans l’infini. Donc, un premier processus infini se déclenche qui met à nu la représentation même et non pas ce qu’elle représente.

Un autre effet de ce système c’est que la division des dimensions fabrique très vite des nombres d’une telle précision qu’il est impossible de les représenter. La matérialité de la représentation, le trait qui effectue cette représentation n’a pas la précision du nombre. La matérialité le met dans le champ de l’imprécision de l’à-peu-près.

Ces deux effets, provoqués par le système mis en place, rendent visible la représentation au dépens de la chose représentée. Ils donnent à voir deux possibilités pour la poursuite du système : l’espace du visible et l’espace de l’invisible. Ce système ne peut pas se poursuivre dans le visible. Aussi se poursuit-il dans l’invisible. Ce qui se représente maintenant dans cet espace, c’est l’invisible. Mais comme chacun sait, l’invisible n’est pas visible et pourtant ce qu’il y a à voir dans l’invisible c’est l’invisible. Un témoin est requis, témoignant qu’il y a bien quelque chose à voir. J’ai donc placé pour signaler cet invisible ce que je nomme : “‘espace de perception”. Celui-ci est la matérialisation de l’acte du voir. C’est l’œil du tableau. L’œil, dont la fonction est de voir, parce qu’il voit, montre que quelque chose est à voir. L’œil du tableau est le garant de l’invisible. C’est lui qui appelle le spectateur à regarder. Le spectateur se trouve face à un tableau qui contient en lui-même sa représentation ainsi que l’œil qui l’a représenté.

LE SYSTÈME INFINIEDRE

Le système INFINIEDRE pose comme base la représentation d’un polyèdre. Les polyèdres sont des formes mathématiques, des formes absolues dont la définition mathématique est sans rapport avec l’expérimentation empirique. Les représenter en trois dimensions pose dès la première tentative l’impossibilité de la représentation. Ce qui peut seulement se représenter, ce sont les différentes erreurs possibles. Aussi, je ne représente pas le polyèdre dans son intégralité mais seulement quelques parties. Ceci permet au spectateur de rétablir, dans les parties non représentées du polyèdre, la représentation véritable du polyèdre sans les erreurs commises par la matérialisation en trois dimensions. Le spectateur définit ainsi lui-même l’espace de l’invisible. Il se trouve être le témoin, garantissant qu’il y a quelque chose à voir.

On voit bien ici que la question de l’origine de l’art et de l’origine de la forme sont liées.

Ce qui fonde l’art c’est bien qu’il y a des œuvres d’art, et ce qui garantit qu’il y a des œuvres d’art c’est bien la présence du regard témoignant qu’il y a quelque chose à voir.

La représentation modifiant la chose représentée à l’infini, c’est la répétition qui fonde la représentation.

Ce qui est à chaque fois représenté, dans le fond, c’est l’infini de la répétition. Ce que je montre donc d’une façon absolument prégnante c’est qu’en définitive toute représentation est l’infini de la représentation.

Le spectateur regardant une œuvre d’art contemporaine participe fatalement à ce processus. Il entre dans ce circuit de l’infini dans lequel le temps joue de toute sa réversibilité. Dans une œuvre contemporaine le spectateur joue en même temps le statut des œuvres du passé. De même, si le spectateur peut contempler les œuvres du passé, c’est parce que le statut de l’art est fondé de jour en jour et d’une façon quotidienne, toujours présente. Ce qu’il contemple en même temps que l’œuvre du passé est l’art d’aujourd’hui.

C’est ainsi que l’œuvre d’art suscite une action présente qui a la même valence qu’une action passée puisque l’on voit que passé et présent valent chacun l’un par l’autre, c’est-à-dire qu’il s’équivalent. C’est la répétition, au fi des siècles, de l’apparition de la forme qui fait qu’il y a art.

Or, si un jour, dans ce lieu spécifique que j’ai mis en place, ce lieu faisant précisément apparaître le phénomène de la répétition, ce lieu a le statut de donner à l’art son image. Car, jusqu’à présent l’art n’avait pas d’image de lui-même puisqu’il n’était que l’apparition de la forme. Dès qu’on fait apparaître cette apparition, on donne une image de cette apparition. Cette image est l’image même de l’art.