My secret life with my computer

Ca fait … ans que je suis devant un ordinateur, je lui demande des choses et souvent il les fait.

Je me souviens, au début mes rapports avec lui étaient un peu conflictuels. Un jour je testais sa soi-disant hyper rationalité, je lui demandais : dessine-moi une ligne de 0.001mm, il le faisait, on ne voyait rien à l’écran, mais il l’avait tout de même dessinée. Je m’étais dit, on peut donc dessiner de l’invisible avec cet ordinateur. Plus tard avec un ordinateur plus puissant on arrivait à voir cette ligne de 0.001mm, il a suffit de lui demander de dessiner une ligne encore plus petite et elle disparaissait à nouveau.

A cette époque je présentais des tableaux dans diverses galeries d’art contemporain. Ce qu’on pouvait voir sur ces tableaux n’était qu’une infime partie de ce qu’il y avait vraiment à voir. On ne pouvait voir que la partie visible. La partie invisible se trouvait sur l’ordinateur, lui seul connaissait l’ensemble du tableau, sa partie visible et sa partie invisible.

Alors, l’ordinateur serait l’outil idéal pour rendre visible l’irrationnel? Je l’ai cru un instant (c’était plaisant à penser) mais en fait c’était un effet de miroir. Je me persuadais qu’il pensait comme moi, dans les mêmes termes, que son langage c’était ma langue. En fait c’était simplement nos erreurs de traduction qui créaient ces phénomènes incroyables. On pouvait partir sur de nouvelles bases. On ne se comprenait pas mais ça créait de nouvelles formes. Je lui demandais des choses impossibles, lui il traduisait cette demande par : cette chose est possible puisqu’elle est formulée avec des mots et une syntaxe qui sont répertoriés dans les dictionnaires et les grammaires. Je demandais de l’impossible, il me donnait du possible. Le système fonctionnait à merveille par son terrible dysfonctionnement. C’était sa grande période Wittgenstein : ce qu’on peut dire, il peut le faire.

Notre face à face devenait malgré tout un peu étouffant; ça créait de la forme, mais nous restions chacun sur notre quant à soi, chacun avec son langage propre. Il fallait sortir de cette incompréhension créative, de ce dysfonctionnement moteur. Cette expérience que nous vivions ensemble pouvait devenir un fabuleux outil de communication. Des domaines très éloignés pourraient enfin interagir. Nous pourrions être utilisés à des fins interactives. Et c’est à cette époque que nous avons modélisé notre expérience, c’est-à-dire que notre relation est devenue un modèle.

Cette vie de modèle n’a pas toujours été très rose : faire communiquer deux formes différentes c’est leur faire créer une nouvelle forme qui n’appartient ni à l’une ni à l’autre; des problèmes d’ego et de pouvoir interviennent rapidement : à qui revient cette forme? à qui cette forme donne-t-­elle raison? ça mettait un peu tout le monde dans l’embarras, ces deux formes n’avaient jamais demandé à communiquer et lui et moi nous nous trouvions en position d’arbitrage. Il fallait créer quelques règles précises pour pouvoir continuer ce que, à l’époque, nous appelions des transferts. La première règle que nous avons établie a été :

si deux formes interagissent

seule l’interaction est vraie.

Ça permettait de régler des problèmes comme le vrai ou le faux, le oui ou le non, ça marche ou ça ne marche pas. Quant à cette position d’arbitre ça, c’était plus délicat. Il fallait tenir cette position de modèle, c’est-à-dire de représentation, sans intervenir dans la passe qui s’effectuait entre les deux protagonistes. Nous, nous n’existions que par notre relation. Nous avons donc décidé, d’un commun accord de jouer le jeu jusqu’au bout, c’est-à-dire de représenter le modèle, sous des traits à chaque fois différents. Vous nous avez peut-être vus sous la forme d’Infinieuses, d’un fauteuil Louis XV, d’un ordinateur, de Fenollabbate, d’une réalité virtuelle, d’un arbre, du réseau internet et bien d’autres encore.