Art, sexe, Multiface

Christian W. Denker

Art, sexe, Multiface

La Sexmultiface de Frédéric Fenollabbate ajoute une nouvelle facette à la représentation artistique du corps nu. L’artiste présente des images de corps, de chair déballée, selon les nouvelles possibilités que la technique numérique permet à la diffusion visuelle. Le point de départ du travail sont des photographies récupérées sur internet. A partir de ces images « traditionnelles », c’est-à-dire des images statiques, représentatives et focalisantes, Frédéric Fenollabbate construit un kaléidoscope de la chair. Les fragments de corps (de femmes, d’hommes, de poils, de seins, d’oeil, de lèvres, de cheveux, de tétons…) se mélangent, se frottent, se couvrent. Le spectateur est invité à transformer onze images (teen, bondage, seins, adonis…) en un paysage VRML. A l’aide de la souris il voyage dans un univers de formes et de couleurs. Au sein de cet univers se forment des ensembles roses dont le dégrée d’abstraction change continuellement avec le mouvement de l’image. La laideur et la beauté s’entremêlent même sur mon vieux 486… Cependant un travail artistique ne plaît jamais à tout le monde. Est-ce une bonne raison pour le censurer?

Un peu d’histoire…

Autrefois, c’est-à-dire il y a environ quelque temps, mes copains du Fachbereich 05 / Philosophie de la fac de Hambourg ont eu une idée. « Et si on faisait quelque chose de grand, de nouveau, de beau ? » (« Wie wäre es, täten wir etwas Grosses, Neues, Schönes? ») Ils se sont mis au travail. Le résultat fut Minerva un moteur de recherche sur des sujets spécifiquement philosophiques. Ce qui nous intéresse dans cette histoire n’est pas le nom du projet mais la réaction des gardiens de la connaissance, de la morale et de l’esthétique : « Au nom de UFR, il ne nous incombe pas de soutenir la pornographie pédophile. » (« Die Verbreitung von Kinderpornografie liegt nicht im Interesse des Fachbereichs. ») En d’autres termes : Pas de fric pour ce que pourrais ajouter à la vie professionnel le goût du contemporain. Entre temps la situation à changé. La plupart des administrateurs professionnel savent envoyer des mails et personne ne s’intéresse à la question de savoir si un étudiant cible sa recherche sur « cocks asses huge tits » ou « Grundlagen Imperatif Ethik Kant ».

Ce que l’histoire nous enseigne

La diffusion des images dite « pornographiques » est désormais une banalité. Depuis longtemps l’accès aux images du corps nu en interaction avec n’importe quoi n’est plus réservé aux « vrais connaisseurs d’art ». Dans la vie quotidienne dans la culture occidentale (c’est-à-dire grosso modo là où se trouve au moins un ordinateur dans la salle à côté) l’image du corps nu est omniprésente. L’industrie se sert de toutes les images qui stimulent le succès commercial de leurs produits. Ceux qui ont du mal à consulter internet peuvent aussi s’initier par les affiches de la publicité des couloirs du métro parisien. La diffusion de l’image à l’aide de internet n’est effectivement qu’une dernière étape dans un processus de simplification de la diffusion visuelle. Au développement de la photographie succéda la diffusion d’images fétiche dans les kiosques à journaux, ensuite les spectateurs commencèrent à délirer sur les parades nuptiales de leur star préférée au fond des salles de cinéma Technicolor. Le développement de la caméra vidéo permit finalement de diffuser l’expérimentation de nos corps dans la cuisine à côté.

La réaction des artistes

La présentation du corps nu se fait depuis la préhistoire. A l’origine de ce que nous appelons l’art se trouve probablement le désir de reproduire un corps et précisément d’un corps bien aimé hors de l’atteint.1 L’élaboration de notre manière d’apercevoir le corps humain est un trait commun de l’art des cultures extrêmement différentes. En tout cas l’expérimentation du corps nu est une pratique principale de l’art du XX° siècle. (Citons par hasard quelques artistes plasticiens plus ou moins préoccupées par le genre : Nobuyoshi Araki, Francis Bacon, Vanessa Beecraft, Jake & Dino Chapman, Larry Clark, Nan Goldin, Otto Dix, Tom of Finland, Richard Kern, Jeff Koons, Delphine Kreuter, Natascha Lesueur, Paul McCarthy, Henri Maccheroni, Otto Mühl, Bruce Nauman, Orlan, Pablo Picasso, Pierre & Gilles, Man Ray, Stelarc…

+ : the singing sculpure, Ulay & Abramovics, Richard Mapletrop, Herrman Nietsch, Pippilotti Rist…)

D’où vient l’intérêt de supprimer la Sexmultiface

Comme trop souvent la fin de l’histoire est déterminée par la censure. Malgré tout, l’expérimentation de l’image du corps nu connaît encore des limites étroites. La tentative de limiter la diffusion de l’image du corps nu hors du contexte pornographique ou publicitaire reste suspecte. Ce fait s’inscrit dans le refoulement des intérêts privés. L’admirateur de la chair peut délirer sur ce qu’il veut sous condition qu’il ne le fasse pas en public. L’art qui commence à sortir le corps nu de son enfermement dérange par conséquent. Précisément c’est le sexe masculin qui est encore exclu de la représentation publique. Ce fait apparaît comme un moyen pour la gent masculine d’empêcher la libération du corps et surtout du corps féminin. La censure de la Sexmultiface est révélatrice du degré de liberté que la culture nous permet.

Christian W. Denker

1 – « Selon l’antique légende [sur l’origine des arts] de Debutade souvent rappelée tout au long de l’histoire des arts, le dessin se serait d’abord manifesté comme un relevé à la main des contours d’un étant appelé à disparaître (Debutade, amoureuse d’un jeune homme sur le point de quitter sa ville, aurait fixé par des traits le contour de son ombre portée sur un mur à la lumière d’une lanterne ou du soleil). Pierre-Damien Huyghe, Art et Industrie, (1999, Circé, France) p. 47.